




RENCONTRE ATELIER par Caroline Méricour
Art en friches, Mixant photo et peinture, Igor Bodoira s’inspire de l’atmosphère des friches industrielles et de leurs architectures gigantesques pour créer des images uniques, d’une grande beauté mélancolique.
Comme les ruines antiques à l’époque romantique, les friches industrielles du XXe siècle inspirent les artistes contemporains. Vastes portiques de béton tagué, halles surdimensionnées, tuyauteries dantesques, trous d’ombres et rais de lumière… Une poétique se dégage de ces lieux vidés de leur substance, témoins d’un capitalisme déliquescent. Igor Bodoira, un jeune plasticien que l’on a découvert en novembre dernier à la galerie Hébert, a su capter l’esthétique de ces architectures chargées de suie et de sueur lors de ses pérégrinations photographiques aux anciennes papeteries de Lancey, dans une ancienne faïencerie de Goncelin, ou encore à la villa Beïda à Évian-les-Bains, sa ville natale… Les escaliers ne mènent plus nulle part, aucune fumée ne sort des hautes cheminées aux allures de forteresse, des trappes s’ouvrent dans le sol ruisselant. Rehaussées de taches de couleurs ou de fleurs de lys d’or, transférées sur des feuilles de tissus népalais imprimées de motifs géométriques raffinés, les images argentiques ou numériques en grand format émettent une sombre beauté.
De la rue aux galeries d’art, «J’ai découvert mes premiers terrains vagues avec mes potes du lycée, avec lesquels j’ai commencé à skater et à graffer. C’était un peu du vandalisme… mais c’est ce qui m’a amené vers l’art », confie l’artiste autodidacte, qui se souvient avoir toujours dessiné.
Fresques, trompe-l’œil, bombe, stylo bille ou portraits de jazzmen… Igor Bodoira s’exprime d’abord sur les murs, commence à faire des travaux de commande. De plus en plus attiré par l’espace et le design, il se forme en alternance à l’atelier Martin Berger à Grenoble, où il apprend le travail de la matière et les belles finitions, l’importance du geste et l’art des grandes compositions murales. Autre rencontre marquante, celle de Denis Lamarca, gérant de Metalstar à Crolles, où il développe le goût des patines sur acier.
Dans son appartement grenoblois actuellement en chantier, où il a aménagé provisoirement son atelier, il met à profit sa connaissance des matériaux et du bâtiment pour expérimenter encore et toujours. «Je ne suis pas un conceptuel. J’aime la matière et le geste », précise-t-il. Ragréages de béton, travail au chiffon, arrachage de papier adhésif, drippings à la Pollock ou à la Niki de Saint-Phalle pour les coulures et giclures, dessins surajoutés, tampons : les empreintes initiales, transférées à froid sur toutes sortes de support, s’effacent pour tendre vers l’abstraction voire la réalité augmentée, avec les plans qui se superposent et se détachent les uns des autres. Placé dans un caisson lumineux, le négatif d’une image de friche en noir et blanc, produit un bel effet plastique. Actuellement, Igor s’essaie aussi au cyanotype, ce procédé photographique ancien par lequel on obtient un tirage bleu. «Il y a un côté aléatoire, le rendu est intéressant. »
Après une belle exposition personnelle au musée Hébert en plein confinement, qui s’est prolongée sous le couvre-feu, Igor espère maintenant intégrer une résidence d’artiste, pourquoi pas dans une friche industrielle comme la Friche de la Belle de Mai à Marseille où les artistes disposent d’un bel espace de création. Des manufactures disparaissent, mais la fabrique de l’art se poursuit dans les coursives…